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Des cocos de Pâques ambulants


Les humains sont des cocos de Pâques. Ils ont une belle allure, ils ont bon goût, cependant, on sait qu’ils sont de mauvaise qualité et vides. Ils ont été transformés, faits ailleurs par d’autres, ils ne sont qu’une enveloppe de chocolat sucré. Les êtres humains par coup de « fait pas ci, fait pas ça », c’est-à-dire d’interdictions sans essai, se sont fait forger par les autres et non par eux-mêmes, alors ils ne sont pas réellement quelqu’un.

À l’hiver 2018, j’ai pu assister au Cégep Garneau à une conférence de Catherine Dorion suite à sa présentation de sa pièce Fuck toute qui permettait entre autres de faire fi de l’obsession d’écran et du travail pour recentrer les humains sur leur « magma intérieur » (pour bien la citer). Retourner à ses émotions, permettre à la société de le vivre, de ne pas le cacher était un des buts de cette oeuvre.

Le mois passé je suis allée écouter un film au cinéma qui m’a fait pleurer et, pour une fois, je ne me suis pas retenue, je me suis laissée aller. Mais ce n’était pas le cas pour tout le monde. Plusieurs reniflements ravaleurs de sentiments, refoulant ce qui fait que nous sommes comme humains étaient audibles dans la salle.

Et c’est triste. Qui, étant plus jeune, n’a jamais entendu un parent ou un grand-parent ou même un oncle dire : « Voyons donc, pleure pas mon/ma petit/petite, c’est pas beau pleurer comme ça t’es un/une grand(e) garçon/fille, t’es plus beau/belle quand tu pleures pas »? Personne. Depuis notre tendre jeunesse, on nous a appris à cacher nos émotions, car pleurer « c’est pas beau ».

Après on se demande pourquoi les gens ont autant de problèmes d’anxiété, de dépendance affective qui se traduisent autant en amour, en amitié et par les abonnés sur Instagram, d’obsession au travail, de préoccupation de leur image. On se demande pourquoi nos jeunes sont toujours « stickés » sur leurs écrans et de quelle façon être « influenceur » est devenu un métier.

Les gens ont besoin de reconnaissance. Ils doivent combler « le vide ».[1] Et comme dirait Bouchard : « Ce n’est pas demain que nous le comblerons ».[2] Les humains sont perdus. Ils ne se connaissent pas eux-mêmes, ne savent pas ce qu’ils aiment, ce qu’ils ressentent. Alors ils font les moutons, ils suivent tout le monde. Et ils font les poissons rouges. Ils suivent pour donner un sens à leur existence éparpillée et oublient d’où ils viennent et ce qu’ils étaient à l’origine, ainsi que leurs ancêtres.

Aujourd’hui, les gens cherchent l’amour partout, car ils ne se le donnent pas à eux-mêmes. À coup d’abonnés sur les réseaux sociaux, ils croient qu’ils vont mieux, qu’ils sont aimés, alors que non. Certains influenceurs mal intentionnés se servent de personnes comme cela pour en profiter, alors que d’autres prônent de magnifiques messages visant à améliorer l’être humain et ses penchants destructeurs. Ces idées tendent à ramener les gens vers leur humanité, vers qui ils sont vraiment, vers leurs valeurs, leurs sentiments. Voilà pourquoi les influenceurs existent.

Ils partagent des messages sur la diversité corporelle, sur le fait de s’aimer soi-même, de se « foutre » des standards de beauté, et que, comme ça, le monde ira un peu mieux. Et ils ont raison. Ils aident les gens à grandir.

En s’aimant et sachant qui l’on est et en restant vrais, authentiques envers nous-mêmes, en étant à cent pour cent reliés à nos émotions, nous sommes plus forts, plus prêts à affronter la vie. Nous ne nous effondrons pas à la moindre erreur de cette façon. Rien de facile ne nous démolit. Nous ne recherchons plus, avec cela, l’amour chez les autres. Nous n’avons plus besoin de combler un vide, puisque, avec notre propre personne, nous l’avons rempli.

Nous prenons la place qui nous revient, à la place de se tarir derrière l’écran en enviant les autres ou en attendant d’être valorisé. C’est un travail sur soi à faire pour être heureux. Les gens sont toujours trop accrochés à leur travail, qu’ils croient être une valorisation. À l’image que celui-ci leur confère, puisque travail rime avec argent. À trop travailler, on devient une machine[3], à trop travailler on brime notre liberté : « nous construisons nous-mêmes les cages dorées […] la liberté n’a aucune chance »[4]. Que nous reste-t-il alors sauf le vide à combler avec les autres pour cacher toute l’anxiété et le néant qui nous rongent?

http://www.casatv.ca/a-table/celebrer-paques-sans-se-casser-le-coco

Il faut vivre. Vivre pour soi pour accéder au bonheur. Ce n’est pas de l’égoïsme, c’est la réalité, il faut se donner le droit d’exister. Nous avons le droit d’être forts pour éviter que quand la cuillère nous frappe le coco de Pâques que nous sommes, au lieu d’éclater en millions d’éclats de chocolat, nous n’aurions qu’une fissure à réparer, à la place de tout recoller ou de tout manger ou de tout jeter à la poubelle.

[1] Serge BOUCHARD, L’Oeuvre du Grand Lièvre Filou, Montréal, Éditions MultiMondes, Chroniques, 2018, p. 20.

[2] Ibid.

[3] Ibid., p. 17

[4] Ibid., p. 51-52.


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